mercredi 11 janvier 2012

La Saga LILLET, ou la fabuleuse histoire de l'apéritif doré.


La saga Lillet

Podensac, Gironde, petit village des Graves pas très loin de Sauternes. Nous sommes dans le berceau d’un apéritif doré aux 130 ans d’histoire, grâce à un marketing à rendre humble le plus créatif des publicitaires d’aujourd’hui.

En arrivant à Podensac, ma connaissance du Lillet se résume à un apéritif de couleur or, assez sucré, aux arômes d’oranges, que l’on peut également apprécier en accompagnement du foie gras (ça, c’est parce que j’adore le foie gras). Autant dire que je ne sais pas grand-chose. Il existe bien un Lillet rouge, m’a-t-on dit, mais je ne pense pas l’avoir jamais goûté. Une seule information me revient sur cet apéritif français mystérieux : il s’agit d’une boisson hyperbranchée à New York et, encore aujourd’hui, de la première marque d’apéritif à base de vin français importée aux Etats-Unis !
Commençons par un tout petit verre de Lillet, discrètement posé sur la table, en compagnie de Cécile Bernhard, sa mémoire cachée. Malgré les cent ans qui la séparent de la naissance de la marque, elle en a une connaissance impressionnante. L’histoire de la bouteille dorée à l’étiquette blanche me séduit déjà : Cécile a en face d’elle une oreille très attentive !


De la Liqueur hygiénique à la Crème de cocu
C’est en 1887 que Raymond et Paul de Lillet fondent la maison familiale « Lillet Frères ». Ils sont négociants en vin fins, confiseries et liqueurs. En réalité, précise Cécile, la création de la maison remonte plutôt à 1875,  date vers laquelle des factures mentionnent « Lillet-Frères : confiseurs-liquoristes Podensac-Gironde. Fabriquant de Limonade-gazeuse. Entrepôt de vins fins, eau-de-vie, cognac, armagnac, absinthe, kirsch, vermouth. Fabriquant de sirops, liqueurs, fruits confits au sirop, à l’eau de vie et au jus. » Une sorte de multinationale avant l’heure !
La maison Lillet commercialise à l’époque des produits fabriqués par ses soins, comme les liqueurs de noyaux (mélanges de noyaux d’abricots et d’amandes amères) et des liqueurs à base d’épices et de plantes : crème de vanille, de thé ou de menthe, ainsi que certaines aux noms étranges ou enchanteurs comme La liqueur de scubac (cannelle, girofle, muscade et safran) ou La liqueur hygiénique (angélique, calamus, myrrhe et cannelle).
Cécile me montre aussi de drôles d’étiquettes rangées dans un tiroir : La crème de pucelle, La crème de vierge, ou La crème de cocu… Et d’autres plus classiques comme les liqueurs de la fanfare ou de la Bastille, sans oublier le N’importe quoi, servi dans un café lorsque, à la question « Que prendrez-vous ? », vous répondiez « N’importe quoi ! ». La maison produisait aussi des crèmes d’ananas ou d’orange. La crème du parfait amour est réalisée à base de citron, d’orange et de coriandre, une herbe qui avait été très « hype » sous Louis XIV. Le port de Bordeaux est un lieu idéal pour les liquoristes : là convergent les cargaisons d’épices en tout genre, graines d’anis, oranges vertes, café ou cacao, ainsi que les sucres antillais. Ces importations expliquent la diversité des composants de ces nouveaux breuvages, et le sucre dont ils sont chargés leur permet de supporter les longs voyages à l’export. Les Frères Lillet commercialisaient aussi des marques de rhums, des portos et des xérès, pour n’en citer que quelques-uns. Sans oublier des vins français de la Gironde : graves, sauternes et cérons.
Et nous voilà à nouveau en 1887, date de la création du fameux Kina Lillet, l’utilisation du quinquina comme principe amer du Lillet répondant aux goûts de l’époque. Il sera le premier produit dont ils ont entièrement inventé la formule, et il restera longtemps le produit leader de la maison avant d’en devenir l’unique produit. Ce qui, nous le verrons plus tard, sera déterminant pour la réussite de l’entreprise.


Et le Lillet devient in
Sans entrer trop précisément dans les détails techniques de fabrication, sachez que le Lillet est composé à 85 % de vin. Plusieurs liqueurs y sont ensuite ajoutées, produit du mélange d’infusions, d’alcool, de sirop de sucre et d’eau distillée. À l’époque des créateurs de l’entreprise, un Lillet d’exportation - ou double quinquina - sera fabriqué spécialement pour les colonies. Les vertus combinées du vin et du quinquina font la réputation des vins dits toniques, très en vogue aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle. Leurs indications thérapeutiques sont même très larges : réparateur, fortifiant, digestif, reconstituant, souvent recommandé par les médecins contre la fièvre, l’anémie, ou encore la faiblesse musculaire et nerveuse ! Les frères Lillet ne sont pas les derniers informés des modes en matière de boissons. Aussi, pour séduire les femmes, ils atténuent l’amertume de la recette et commencent à communiquer sur la marque : lettres blanches ombrées de noir sur fond rouge vif. Le véritable Lillet est né ! Les deux frères sont de vrais communicants. Une fois la stabilité du produit définitivement assurée et sa qualité maintenue, nos deux compères vont concentrer tous leurs efforts sur la publicité, stratégie qui demeurera leur ligne de conduite.

Nous sommes début 1900. Lillet devient un apéritif à la mode. On le déguste bien au-delà de Bordeaux : il est présent de Toulouse à Paris, mais aussi en Afrique, en Argentine, au Mexique, en Angleterre et aux Etats-Unis. Les grandes occasions, soirées d’ambassadeurs et réceptions officielles sont réussies grâce au Lillet ! Somptueuses affiches, kiosques de dégustation, plaques émaillées, éventails, toutes sortes de supports sont inventés pour promouvoir la boisson au Kina. Les affiches qui illustrent ces pages témoignent d’une énergie et d’une inventivité bien en avance sur son temps. La médaille d’or remportée en 1900 lors de l’exposition universelle de Paris renforce plus encore la marque. En 1938, l’entreprise connaît un véritable succès commercial, le marché anglo-saxon étant le plus porteur grâce au lancement du Lillet dry : un peu de Lillet avec du gin ou en cocktail.


Un succès très jet set
Les années passent. André et Marcel ont succédé à Paul et à Raymond, puis cèdent la tête de l’entreprise aux quatre fils d’André. Chaque génération s’applique soigneusement à respecter la consigne des débuts : la qualité sera toujours payante. En 1946, Lillet s'introduit complètement aux États-Unis grâce au négociant new-yorkais Michel Dreyfus qui en fait la boisson la plus branchée de New York. C’est encore lui qui inspirera la naissance du Lillet rouge en 1962. La marque remporte un grand succès dans les années 60 grâce aux campagnes de publicité dans la presse et à la radio, développées par Pierre Lillet spécialement pour les États-Unis.
En 1950, la duchesse de Windsor, grand amateur de Lillet, l'introduit dans la haute société, notamment chez Fauchon puis dans certains grands hôtels parisiens comme le George V ou le Ritz. Par la suite, Lillet s'implante sur la Côte d'Azur afin de répondre à la demande américaine. Les présidents Jimmy Carter, Valéry Giscard d’Estaing ou encore François Mitterrand font partis des fans de Lillet.

Mais le marché des apéritifs devient de plus en plus compétitif. La société Lillet n’échappe ni à cette concurrence ni aux modes qui passent de plus en plus rapidement. En 1985, il s’en fallut de peu que Lillet passe aux mains des américains pour devenir Lillet. Inc. Eh bien non : un Bordelais en tombe amoureux, un soir dans un bar de Manhattan, et rachète l’apéritif préféré des New-yorkais. Bruno Borie, propriétaire d’un grand cru bordelais, entreprend de moderniser le matériel, restaure les chais et fait même revoir la recette, tout en respectant les caractéristiques originelles du breuvage. Il collabore avec l’Institut d’Œnologie de Bordeaux pour améliorer la composition du Lillet et lui donner une seconde vie. Tout est dépoussiéré : la charte graphique est modernisée, une nouvelle campagne de publicité voit le jour, et la nouvelle bouteille de 75 centilitres remplace celle d’un litre. Résultat : en 1999, Lillet devient l’une des cent premières marques vendues en France ! Et l’histoire ne s’arrête pas là, quand en 2008 la société Ricard en devient propriétaire : avec un savoir-faire de « pro », les fondateurs peuvent être rassurés, la petite bouteille a l’éternité devant elle.


Lillet est l’exemple parfait d’une marque attachée à l’histoire de la région de Bordeaux, une marque aux gènes familiaux, une marque, enfin, qui symbolise à la fois la qualité et la différence.
Je terminerai cette visite par un verre de la Réserve Jean de Lillet Blanc, imaginant les Frères Lillet faisant de même après une folle journée de travail. Le temps ne semble pas avoir de prise sur ces bâtiments 1930, témoins de toutes ces inventions liquoreuses. Si vous passez par la Gironde, arrêtez-vous à Podensac, vous respirerez 130 ans d’une attachante saga familiale. Même sans Cécile à vos côtés, le petit musée vous fera revivre l’histoire de la famille Lillet.

Patricia Courcoux-Lepic

Préparation des vins et élaboration des liqueurs
Au cas où vous souhaiteriez faire vous-même votre Lillet, voici quelques astuces…

Les vins sont assemblés jusqu’à l’obtention des liqueurs, résultat de la macération à froid de chaque fruit dans l’alcool. Les principes sont ensuite extraits après quatre à six mois, pour procéder à l’écoulage et au pressurage des fruits et des écorces. Ne soyez pas impatient.

Pour le Lillet Blanc, il vous faut des cépages de sémillon pour une structure grasse et ample, et pour le Lillet Rouge des cépages typiques du Bordelais, cabernet-sauvignon et merlot plus tannique.
Les fruits et écorces utilisés pour la fabrication des liqueurs proviennent du monde entier (bon voyage !) : les oranges douces du sud de l’Espagne, les oranges amères d’Haïti, les oranges vertes du Maroc ou de Tunisie, puis enfin le quinquina (écorce d’un petit arbre d’Amérique du Sud) pour la petite note d’amertume… Les autres fruits relevant du secret Lillet, laissez libre cours à votre imagination. Vous en savez assez de toute façon.

1.    Le vinage : Il s’agit de l’assemblage des vins (85 %) et des liqueurs (15 %), réalisé dans des cuves où le brassage se fait lentement, jusqu’à un assemblage parfaitement homogène.
2.    L’élevage : À prévoir en cuves de chêne pendant 6 à 12 mois, pour obtenir les arômes et la maturité qui caractérisent votre nouvel apéritif préféré. Sachez que Lillet est soigné comme un grand cru bordelais.
3.    L’assemblage des cuvées : Il se fait en fonction des notes aromatiques et du vieillissement, afin de donner à Lillet l’élégance qui le caractérise.
Voilà, vous savez tout !

P. C-L.

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